Plusieurs fois shortlistée, à l’Aga Khan Award ou à la Royal Academy des Arts de Londres, Prix européen d’architecture Philippe Rotthier, Chevalière des Arts et des Lettres ayant à son actif une dizaine d’ouvrages de référence sur l’architecture du Maroc, Salima Naji vient de recevoir la très prestigieuse Grande Médaille d’or de l’Académie d’architecture, décernée à une personnalité, française ou étrangère, ayant « hautement honoré ou servi l’architecture » – un prix précédemment remis à des architectes aussi importants que Jean Nouvel (France) ou Sir Norman Foster (Royaume-Uni).
Détail tataoui, Souk de Tablaba de Taghjijt, Guelmim Oued Noun. David Goeury ©.
Aucun Africain, et encore moins une femme, n’avait encore reçu cette consécration.
On ne compte plus le nombre de chantiers sur lesquels elle a initié réhabilitations, restaurations ou constructions. Ce furent, entre autres, les greniers collectifs d’Amtoudi, Aït Kine, Tizgui, Ifri Imadiden, Adkhss n’Arfalen, Innoumar, Isserghine ; les ksours-greniers de Akka Ighane et Tiskmoudine ; le ksar d’Assa et l’oasis d’Akka, avec son minaret saadien et ses synagogues méridionales ; le souk de Taghjijt ; la médina de Tiznit, la Vallée des Ait Mansour, le tribunal colonial de Tafraout et l’ancienne citadelle d’Agadir, complètement détruite par le tremblement de terre de 1960, équipée d’un téléphérique et d’une plateforme d’accueil construits dans des procédés parasismiques.
Plateforme d’accueil d’Agadir Oufella. David Goeury ©.
« Ce chantier a cristallisé tout ce que j’ai réalisé ces vingt dernières années en paléo-innovation. Pour ce site historique vieux de cinq siècles, j’ai proposé une façon de construire qui prend racine dans le vernaculaire et se déploie dans l’espace neuf d’une capitale régionale. Un héritage rendu visible au plus grand nombre ».
Salima Naji propose d’abandonner la distinction stérile entre tradition et modernité, le plus souvent convoquée dans des rapports de domination coloniaux ou post-coloniaux, pour se recentrer sur une notion de patrimoine prenant très au sérieux le principe du legs et de sa transmission dans sa globalité, en articulant réflexions et actions autour de projets intégratifs et participatifs, qu’ils soient de réhabilitations ou d’éco-constructions : nouvelles maternités, écoles, coopératives artisanales, nouveaux musées et centres culturels, bâtis en terre crue ou en pierre.
Intérieur du point d’information de Tafraout. David Goeury ©.
Derrière chaque chantier se dresse une armée d’impératifs : se faire archéologue pour effectuer un relevé des formes bâties et une reconnaissance des techniques employées ; améliorer les techniques pour les ajuster au dérèglement climatique et prévenir les effets des catastrophes naturelles : séismes aussi bien qu’inondations, vagues de chaleur et stress hydrique. « Il faut sans cesse réécrire nos cahiers de prescriptions. » Il faut penser aussi adaptation, dans une société ayant fait le choix d’une division du travail et d’un encadrement normatif de la construction. Il faut former et rendre aux maalmines leur dignité en partageant les savoir-faire – notamment avec ceux en charge de la reconstruction des bâtiments détruits en 2023, qui sont souvent aussi des agriculteurs.
Détail plateforme d’accueil du bas du site, pierre sèche, Agadir Oufella. David Goeury ©.
À ce prix, non seulement on peut éco-construire dans la dignité des communautés en évinçant la tentation de corruption et de malfaçon mais on réimpulse une vie sociale dans des villages en déshérence. En témoigne son initiative aux côtés de l’artiste Amina Agueznay : à la faveur des sauvetages des greniers oasiens de la province de Tata, elles ont installé, à partir de 2018, des sortes d’ateliers itinérants destinés aux femmes, qui puissent accompagner la formation de coopératives et permettre aux villages réhabilités de retrouver une dynamique.
Théâtre en plein air et café du Souk de Tablaba de Taghjijt, Guelmim Oued Noun. David Goeury ©.
« L’objet architectural doit être pensé dans un temps long, et dans un contexte social ouvert afin de mieux cerner son empreinte et les possibles qu’il génère. En s’appuyant sur des cas oasiens, il est permis de corriger une certaine idée de la « modernité » afin de définir les conditions d’une nouvelle régulation de la production architecturale dans un contexte de forte contrainte environnementale. Il s’agit donc de dépasser l’esthétique de l’héritage pour interroger son capital de résilience. C’est cette dynamique constante de l’adaptation qui est en souffrance aujourd’hui et qu’il faut réactiver pour sortir du tout-béton destructeur des potentiels environnementaux et sociétaux ».
Women Center en terre crue de Tissint. David Goeury ©.