Ces parures du monde rural associent les émaux cloisonnés de Tiznit et Tafraout au corail rouge, symbole de vitalité, et à l’ambre jaune utilisé dans les dots matrimoniales.
Crédit photo: Nomoo Lab
Suspendus au cou, enfouis dans les coffres ou glissés dans les trousseaux de mariage, les bijoux marocains portent ce que les mots taisent. Façonnée par les mains d’orfèvres amazighs, arabes ou juifs, chaque technique révèle un univers. La joaillerie marocaine ne suit aucune ligne unique. Elle épouse les reliefs du pays et s’adapte aux coutumes. Dans le Souss, les ornements berbères en argent massif se distinguent par leurs volumes généreux, rehaussés de pierres et d’émaux colorés. Plus au nord, dans le Rif, les motifs s’adoucissent, inspirés des jardins et des lignes andalouses. Le désert trace d’autres formes, plus sobres, où chaque pièce devient un signe, parfois protecteur, parfois identitaire.
Parure composée de deux fibules, d’un pendentif-boîte à amulettes et de pièces de monnaie espagnoles en argent.
L’histoire de la parure marocaine s’enracine dans des millénaires de gestes et de croyances. Les récentes découvertes archéologiques de la grotte de Bizmoune, près d’Essaouira, ont révélé des perles façonnées à la main vieilles de plus de 140 000 ans. Au croisement de l’Afrique, de la Méditerranée et de l’Orient, le Maroc a toujours été traversé par des influences multiples. La culture amazighe, très présente dans les montagnes et les oasis, a insufflé des formes chargées de symboles et de mémoire. D’autres traditions se sont entremêlées avec le temps. Les artisans andalous, venus après la chute de Grenade, ont introduit des savoir-faire en émail, filigrane ou ciselure. Dans les médinas, les juifs marocains ont longtemps transmis l’art délicat de l’orfèvrerie urbaine. Puis à l’ère post-indépendance, la parure devient un terrain de réappropriation culturelle. Elle n’est plus seulement décorative, elle affirme une identité et engage même une forme de résistance. Le bijou devient une appartenance, un message à fleur de peau.
Boîte talismanique portée en bandoulière pour contenir un manuscrit du Dala’il al-Khayrat. Le décor floral et végétal s’organise autour d’une étoile à six branches, témoignage de la présence juive dans l’orfèvrerie marocaine.
Aujourd’hui la matière demeure, les gestes aussi, mais les créateurs composent avec d’autres langages, d’autres regards. La joaillerie marocaine a conservé sa densité symbolique, tout en s’ouvrant à d’autres façons de dire. Chez Maison Azuelos, les pierres continuent de parler mais dans un langage renouvelé. L’émail s’invite sur des formes plus épurées. Les motifs, nourris de mémoire juive marocaine, prennent la forme de talismans discrets.
Moucharabieh transpose l’architecture orientale en bijou par le travail du métal ajouré et ses motifs géométriques.
La main reste présente, mais le trait s’allège. Fondée à Rabat en 1920 par Isaac Azuelos, la maison s’est transmise de génération en génération. Joseph, puis Serge, Patrick, et maintenant Sébastien, ont prolongé la lignée en repensant les formes, sans jamais rompre le fil. Khmissa, zellige, fibule… autant de signes devenus bases de création, retravaillés collection après collection, dans un dialogue attentif entre héritage et invention.
Cette mémoire collective est préservée au Musée du Monde des Arts et de la Parure de Marrakech. Ce lieu rassemble des pièces rares issues de différentes régions du Maroc, en soulignant la richesse des savoir-faire et des influences croisées. Désormais les objets ne sont plus de simples ornements mais de véritables œuvres, à la croisée de l’art, de l’usage et de l’identité.
Bijoux inspirés des arches almohades de Tinmel dans le Haut Atlas.
La joaillerie marocaine continue d’évoluer, loin des vitrines figées. Dans les ateliers de Fès, de Marrakech ou de Casablanca, chez les artisans des médinas comme dans les manufactures contemporaines, les créations gardent leur pouvoir d’évocation. Elles disent l’attachement, la filiation, la mémoire du corps et la beauté du geste. Ni figées, ni effacées, elles avancent à leur rythme, portées par celles et ceux qui savent encore lire les signes dans le métal.