Les motifs marocains fleuron du design contemporain

Les motifs hérités du fond des âges non seulement ne se démodent pas mais au fil du temps, à la faveur de continuelles réinterprétations, occupent le devant de la scène du design contemporain.

Photos Cécile Tréal

C’est un fascinant destin sociologique et esthétique que ces motifs marocains, hérités d’une tradition excluant toute fantaisie figurative, aient réussi non seulement à survivre à travers les siècles mais à occuper aujourd’hui une place de premier plan dans le design d’ici ou d’ailleurs. À l’origine, quel que soit son degré de sophistication, l’art décoratif islamique n’emploie que trois types de motifs : le motif géométrique, basé sur la répétition et la symétrie, avec une préférence pour la miniaturisation ; le motif floral, composé d’entrelacs, rinceaux ou palmettes évoluant en arabesques ; le motif épigraphique (cursif ou coufique) à la louange de Dieu.

Sculpture murale de 2 mètres de hauteur inspirée des dessous de plats et couffins en vannerie réalisée par Chafik Kabbaj pour l’Hôtel Euphoriad Rabat.

À l’exception de ce dernier, qui relève autant de l’écriture que du motif décoratif, on assiste à une remarquable survivance de ces motifs archétypaux, peut-être pour certains antérieurs d’ailleurs à l’islam, qui ne cessent d’évoluer pour s’enrichir de nouveaux jeux d’assemblage, de nouvelles matières, de nouvelles couleurs et techniques et de nouveaux champs d’application. 

Le motif géométrique est un art de la combinaison, proche des épures géométriques. Les unités curvilignes donnent naissance aux arabesques, les unités rectilignes aux polygones étoilés et aux rosaces tournantes.

Ces motifs se retrouvent partout dans la vie quotidienne : dans l’architecture intérieure ou extérieure des maisons aussi bien qu’en ornement des tapis, des textiles, des objets de la vie courante et jusqu’aux corps des femmes, sous forme de tatouages ou d’applications de henné. S’ils ont tant prospéré, c’est grâce au mécénat des sultans et monarques successifs. C’est aussi affaire de circonstances historiques : la politique de vitalisation des arts traditionnels conduite pendant les premières années du Protectorat permit d’exporter l’art marocain dans les foires-expositions de la métropole, à une époque où l’Europe est saisie d’un engouement pour l’art africain et l’abstraction. 

Un exemple de réinterprétation
Art-déco signé Bill Willis pour La Trattoria. 

Des designers français furent les ambassadeurs de ces motifs : le couturier Paul Poiret, qui s’inspira des motifs à entrelacs des fontaines de Fès, ainsi que le dessinateur de joailleries Charles Jacqueau, qui pour Louis Cartier se mit à reproduire les combinaisons géométriques des mosaïques. C’est aussi, en sens inverse, l’influence qu’ont pu exercer ces étrangers sur les artisans qui surent rapidement, par exemple, tisser des tapis Art-déco ressemblant à des Mondrian ou des Paul Klee

Myriam Mourabit propose une réinterprétation poétique du zellige et du pointillisme du henné, en recourant elle aussi à des matériaux inhabituels comme le béton.

C’est encore, après l’indépendance, l’enracinement de ces étrangers au Maroc, qui renouvelèrent bien des formes et des usages des arts décoratifs dits traditionnels. L’Américain Bill Willis, qui s’installe à Marrakech à la fin des années 1950 pour y rester jusqu’à la fin de sa vie, va particulièrement se distinguer en termes de réinterprétations et lancer de nouvelles modes aujourd’hui reproduites un peu partout sans que plus personne ne s’en étonne : l’introduction de nouvelles couleurs plus flashy, de nouveaux motifs de zelliges, de geps et de bejmat, l’emploi du tataoui et la généralisation du tadelakt. Autant d’innovations que donnent à voir Palais Zahia, Villa Oasis, Dar Saada, restaurants Yacout, Trattoria et Ricks Café.

L’architecte et décorateur Chafiq Kabbaj réinterprète les motifs traditionnels pour élaborer d’innovantes compositions graphiques.

Aujourd’hui, les designers marocains se sont formés à l’étranger et de leur cosmopolitisme surgit une force de création reconnue au-delà des frontières. Ils inventent des fonctionnalités nouvelles aux panneaux de zelliges, aux grilles de fer ouvragé, aux vantaux de portes, aux haiks ou aux textiles brodés.
Ils n’utilisent plus seulement la calligraphie arabe mais aussi l’alphabet tifinagh… Retenons trois noms qui marquent singulièrement ce design contemporain marocain. Chafiq Kabbaj, passé par l’École des Beaux-Arts à Paris, n’a pas son équivalent pour, à partir des arts décoratifs anciens, créer des compositions avant-gardistes et inédites. Hicham el Madi, diplômé de l’Institut supérieur des Arts appliqués de Paris, allie aux savoir-faire des maâllems les moyens technologiques de notre temps comme informatique, gravure et découpe au laser, il favorise les collaborations avec les designers étrangers et se plaît à sculpter matériaux recyclables ou ultramodernes comme néoprène, valcromate, aluminium ou PVC.

Formée à l’École Supérieure des Arts Appliqués Duperré et à l’École Nationale des Arts Décoratifs de Paris, Myriam Mourabit sculpte céramique, bois, métal ou même béton de motifs canoniques de l’art marocain. Son emploi de zouaqs au henné, ses introductions d’or, d’argent, de reliefs et ses réinterprétations de zelliges en partenariat avec l’atelier Aït Manos sont particulièrement spectaculaires. Grâce à eux et à tant d’autres maâllems et designers, les motifs ne relèvent plus seulement du patrimoine mais de la modernité graphique.

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Un valet en bronze dessiné par Isabelle Stanislas et fabriqué par les Ateliers Bataillard, une ferronnerie d’art centenaire. Le long du mur, une série de photos de voyage de son ami Jérôme Petit.