Renaissance d’un joyau architectural : la Villa Carl Ficke

La Villa Carl Ficke, édifiée en 1913 et menacée d'effondrement, renaît aujourd'hui comme Musée de la Mémoire de Casablanca. Une métamorphose orchestrée par l'architecte Salima Naji, spécialiste reconnue du patrimoine architectural marocain.

Datant de l’aube du XXe siècle, la Villa Carl Ficke représente un témoignage précieux de l’essor de Casablanca et des innovations architecturales de son époque. Ce bâtiment, œuvre commandée par le commerçant allemand Carl Ficke, était au bord de la ruine lorsque sa restauration a été entreprise. C’est Salima Naji, architecte, anthropologue et experte en patrimoine berbère, qui a relevé ce défi de taille.

Une restauration respectueuse et innovante

« La Villa, quand on s’en occupe, est sur le point de s’effondrer. Elle est étayée de toutes parts« , se souvient Salima Naji. Son premier travail fut d’explorer minutieusement les archives disponibles, découvrant une documentation exceptionnellement riche : « Je découvre ainsi que la Villa possède des archives, ce qui est exceptionnel, et nous en avons trouvé beaucoup, des plans, des coupes et des documents.« 
Cette phase préliminaire a également inclus des recherches auprès de la descendance du propriétaire original, enrichissant encore la compréhension historique du lieu. « J’ai aussi retrouvé les archives familiales, puisque j’ai rencontré la descendance, ce qui a apporté un autre éclairage encore à la Villa, et c’est pour ça que j’ai disposé, avec leur autorisation dans l’escalier, les portraits de la famille« , explique l’architecte.

L’équilibre entre préservation et adaptation technique constitua l’un des défis majeurs. « Le deuxième temps extrêmement complexe fut de chercher à sauver la demeure dans ses spécificités, c’est-à-dire ne pas la désolidariser en termes de structure », précise Salima Naji. Pour y parvenir, une solution ingénieuse a été élaborée avec le bureau d’études 2AI et l’entreprise G3C : l’introduction d’un portique soutenant l’ensemble de la structure entre le salon d’honneur et l’escalier principal.

Une restauration « chirurgicale »

Pour Salima Naji, la philosophie du projet s’articulait autour d’un principe fondamental : « le troisième point extrêmement important, à mes yeux, était de faire une restauration sans détruire. » Cette approche s’illustre particulièrement dans le traitement de l’escalier d’honneur : « l’escalier d’honneur autour du vitrail, nous ne l’avons pas touché, nous ne l’avons pas démonté, nous avons fait une restauration chirurgicale pour le laisser tel qu’il était. »
La modernisation du bâtiment pour répondre aux normes actuelles, notamment d’accessibilité, a nécessité plusieurs années de travail. Un ascenseur a été installé, un escalier de service supprimé pour gagner de l’espace, permettant d’intégrer des zones administratives et d’accueil du public, comprenant un café en terrasse et une boutique.

Un patrimoine matériel préservé

Mais ce qui est le plus singulier pour la Villa Carl Ficke est la matériauthèque : « montrer les éléments qui ont constitué la villa à sa création : les carreaux de Villeroy et Boch de Lübeck (années 1910), poutrelles en fonte IPN qui constituaient les anciennes poutrelles, système originel des portes à galandage, poignées historiques et portes restaurées. » Il s’agit de montrer comment le lieu est fabriqué, de quels éléments il est constitué et comment obtient-on un enduit originel avec la terre locale et la chaux : bref une leçon d’architecture par ce qui la constitue.
La couleur jaune distinctive du bâtiment n’est pas le fruit du hasard mais le résultat d’une recherche approfondie : « la couleur jaune est la couleur originale de cette demeure, dans la mesure où la référence est le Palais du Sansouci de Posdam, mais surtout parce que le sol sous la demeure avait ce jaune incroyable« . Cette teinte a été recréée à partir de prélèvements analysés en laboratoire en 2016-2017.

 
 
 
 
 
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Une experte du patrimoine aux multiples distinctions

Salima Naji n’en est pas à son premier projet d’envergure. Titulaire d’un doctorat en anthropologie sociale de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris et diplômée en architecture de l’École d’Architecture de Paris-la-Villette, elle s’est spécialisée dans la préservation du patrimoine architectural, particulièrement berbère.

Son expertise lui a valu de nombreuses distinctions internationales, dont la Médaille d’or de l’Académie d’Architecture de France. Shortlistée à deux reprises pour le Prix Aga Khan pour l’architecture (2013 et 2022), la mention « Innovation » du Prix européen d’architecture vernaculaire Philippe Rotthier (2024). Elle est également Chevalier des Arts et des Lettres de la République française depuis 2017.

Après Agadir, Salima Naji a su mettre son expertise au service de ce projet emblématique pour la ville de Casablanca, fruit d’un partenariat entre le Ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, la Commune de Casablanca, la Préfecture de l’arrondissement de Mers Sultan et la Fondation Nationale des Musées, avec le soutien de la Wilaya de la région Casablanca-Settat, la Fondation TGCC et l’Orchestre Philharmonique du Maroc (OPM).

La Villa Carl Ficke, désormais Musée de la Mémoire de Casablanca, ouvre ses portes ce 27 février 2025, offrant aux visiteurs non seulement une plongée dans l’histoire de la ville, mais aussi un exemple remarquable de restauration patrimoniale respectueuse, à la croisée de la conservation et de l’innovation.

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Un valet en bronze dessiné par Isabelle Stanislas et fabriqué par les Ateliers Bataillard, une ferronnerie d’art centenaire. Le long du mur, une série de photos de voyage de son ami Jérôme Petit.