Infusion de gestes et de traditions

D’hier à aujourd’hui, du rituel familial aux créations avant-gardistes, le thé marocain continue d’écrire son histoire, une infusion après l’autre.
 

Photos Cécile Tréal

Dans la fraîcheur des patios fassis, au creux des dunes sahariennes ou dans l’effervescence des ruelles de Marrakech, le thé rythme la vie. Son parfum, la caresse de la menthe, les tintements des verres… chaque gorgée ravive un souvenir. Pourtant, ce verre de thé mousseux n’a pas toujours fait partie du quotidien marocain.

 

Dans les comptoirs-salons de Wright Tea, sommeliers et chefs subliment le thé en l’associant aux saveurs de la gastronomie marocaine et de la haute pâtisserie.

Introduit au XVIIème siècle à la cour de Moulay Ismaïl, il reste longtemps une rareté avant de se diffuser au XIXème siècle, porté par le commerce maritime. La guerre de Crimée pousse les Britanniques à écouler leurs cargaisons de thé dans les ports du royaume. D’abord réservé aux élites, il conquiert médinas et villages, tissant un art du partage et de la lenteur qui transcende les classes et les régions.

 

La théière Walter, création authentique et façonnée à la main à Fès, où le geste artisanal transmet l’âme du thé marocain.

Inspirée de l’architecture déconstructiviste et de la vision audacieuse de Zaha Hadid, la théière Zaha d’Hicham Lahlou, lui rend hommage.

Cet engouement façonne aussi un artisanat dédié. À Fès, les dinandiers cisèlent de délicates théières, les verriers soufflent des verres irréguliers, tandis que les ébénistes sculptent plateaux et tables basses. À cette époque, un nom se distingue : Richard Wright, argentier, dont les créations, inspirées de la tradition anglaise et réinterprétées par les artisans marocains, parent les salons des grandes familles. Fidèle à cet héritage, la marque Wright Tea enchante autant les passionnés que les amateurs de ce breuvage devenu un symbole d’hospitalité.

 

Entre héritage marocain et éclat contemporain, mida et verres en céramique signés Myriam Mourabit.

Aujourd’hui, ce savoir-faire inspire encore les créateurs, à mi-chemin entre objet fonctionnel et œuvre d’art. Avec sa nouvelle théière Walter, inspirée du Bauhaus, Hicham Lahlou figure emblématique du design, dessine une sphère subtilement incisée en son centre, où la rupture devient équilibre, entre tension et harmonie, structure et légèreté.

 

Mais l’art du thé ne se limite pas à la théière. Myriam Mourabit revisite depuis plus de trente ans les accessoires qui l’entourent, notamment en céramique. Pionnière dans la création de verres en émail non-toxique, elle réinvente aussi les plateaux de service, s’inspirant de la mida marocaine pour allier esthétisme et fonctionnalité. Son travail explore la mémoire et la matière, chaque relief venant marquer son empreinte artistique.

 

Hez l’Kas, poignée écologique en 3D conçue par Younes Duret. Elle s’adapte aux verres pour une prise en main pratique et sans brûlure.

 

Plus conceptuel, Younes Duret questionne la place du thé dans une société en perpétuelle évolution. Son accessoire Hez L’Kas, imaginé pour sublimer le verre Beldi, associe artisanat et innovation grâce à l’impression 3D. Il ne s’agit plus seulement d’embellir un objet, mais de repenser son usage. Sa théière Beldi, volontairement allongée et déstructurée, défie l’esthétique classique tout en conservant une forte portée culturelle.

 

Hicham El Madi a réalisé son modèle après un an et demi de recherche, le coulant à la main à partir de canettes et de tôles recyclées.

 

Hicham El Madi, lui, réinvente la théière marocaine avec un regard audacieux. Connu pour ses pièces en céramique aux formes décalées, il s’attaque cette fois à l’aluminium recyclé. Son modèle joue sur la perception, car selon l’angle, on distingue une théière traditionnelle ou une forme plus moderne. Le prototype est prêt. Et avec lui, le début d’une nouvelle série où la théière ne sera plus seulement un symbole, mais un objet fonctionnel du quotidien.
Du travail des artisans aux lignes épurées du design contemporain, geste après geste, le thé marocain perpétue un héritage vivant, traversant les générations avec la même chaleur, la même générosité et la même invitation au partage.

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Un valet en bronze dessiné par Isabelle Stanislas et fabriqué par les Ateliers Bataillard, une ferronnerie d’art centenaire. Le long du mur, une série de photos de voyage de son ami Jérôme Petit.