Frou Akalay, Directrice Générale du Groupe Archimedia.
L’architecture d’intérieur, une discipline à part entière
Qu’est-ce qui vous a motivé à créer les MIDA après le succès des YMAA ?
Frou Akalay : En réalité, les deux projets ont été pensés simultanément avec mon père. Nous avions l’envie de créer un événement dédié aux architectes d’intérieur et à l’architecture d’intérieur en tant que discipline. Il s’agissait de valoriser ce qui se conçoit à l’intérieur des maisons, des bureaux, des espaces.
Puisque les projets sont des projets d’architecture d’intérieur, nous nous adressons naturellement à la fois aux architectes et aux architectes d’intérieur. Nous avons toujours eu cette volonté d’explorer l’architecture sous tous ses angles.
Pourquoi est-il si important de distinguer l’architecture d’intérieur de l’architecture traditionnelle ?
L’architecture contemporaine consiste à créer un édifice qui s’implante dans un paysage et répond à un besoin spécifique. L’architecture d’intérieur fait appel à d’autres notions. Elle explore l’intérieur de ces bâtiments avec une réflexion complètement différente.
Souvent, nous avons un architecte qui s’occupe du bâtiment et un architecte d’intérieur qui gère l’aménagement intérieur. Cette collaboration arrive très fréquemment et elle est confirmée par les architectes membres de notre jury.
C’est pourquoi nous avons 16 catégories : pour explorer l’ensemble des typologies de l’architecture d’intérieur de manière pragmatique.

Maison réalisée par l’architecte d’intérieur Amina Hmada.
Crédit photo Cécile Tréal
Révéler l’identité marocaine du design d’intérieur
Quelle est votre vision pour l’évolution du design d’intérieur au Maroc ?
J’ai hâte de découvrir ce que révélera cette première édition. Les MIDA, conçus comme un événement biennal, mettront en avant les projets des deux dernières années. L’idée n’est pas de recycler d’anciens projets, mais que chaque édition mette en exergue les dernières réalisations.
En quelques années, cela nous permettra de constituer un véritable cahier de tendances. Nous pourrons observer comment évoluent nos façons d’habiter, de consommer, de travailler. On a vu ces dernières années la cuisine qui est passée du sous-sol au cœur du salon avec le concept de cuisine américaine, l’intégration de chambres de personnel confortables dans les nouvelles villas, ou encore la machine à café devenue objet décoratif et non pas ustensile de cuisine.
Quelle identité cherchez-vous à révéler ?
Découvrir à quoi ressemblent les projets d’architecture d’intérieur au Maroc. Avons-nous un cachet particulier ? Une identité propre ? Sommes-nous très influencés par les tendances internationales ?
L’artisanat occupe-t-il une place importante dans les intérieurs ? Peut-on moderniser certains objets certains us et coutumes pour qu’ils ne disparaissent pas ? Comment évolue le salon marocain traditionnel et d’autres espaces ? Il y a toute une logique de la manière dont les gens consomment l’architecture d’intérieur, qui va au-delà de l’esthétique.

Le salon marocain vu par Mouna Chantit et Nadia Maniari
Crédit photo Abderrahim Annag
Un besoin de reconnaissance professionnelle
Comment avez-vous identifié ce besoin de reconnaissance dans le secteur ?
Le Maroc regorge de métiers créatifs, mais nous n’avons pas assez de plateformes pour les valoriser. Nous, en tant que groupe de presse spécialisé dans l’architecture depuis 25 ans, il est normal pour nous de créer des plateformes pour valoriser les architectes, les architectes d’intérieur, les designers.
Quelle a été la réaction des professionnels à l’annonce des MIDA ?
Les architectes d’intérieur ont accueilli le projet avec enthousiasme. Les architectes sont également très positifs concernant ce concours.
Il y a eu quelques réticences de professionnels étonnés qu’architectes et architectes d’intérieur soient conviés ensemble. J’espère que ce sera l’occasion de concilier leurs approches.

Jury des MIDA lors de la soirée de lancement au sein de la Villa Roche Bobois à Casablanca.
Un jury d’experts reconnus
Comment avez-vous constitué le jury ?
Le jury est composé d’architectes, d’architectes d’intérieur et de designers avec qui nous avons collaboré. Le jury est présidé par Lotfi Sidirahal, un architecte qui collabore avec des architectes d’intérieur et qui est également designer. Nous avons Fouad Lahlou et Sophia Sebti (architectes), Reda Bouamrani, Younes Duret (architecte d’intérieur et designer), Yasmine Bennani qui a créé Inspiration Design By – un espace collaboratif unique au Maroc.
Et il y a Zineb Achraf, rédactrice en chef adjointe de Maisons du Maroc, la première revue d’architecture et de décoration créée il y a 30 ans au Maroc et la première revue ouvrant les portes d’intérieurs privés. C’est exactement ce que veulent faire les MIDA : découvrir des projets qu’on ne connaît pas et les mettre en avant.
D’ailleurs, Maisons du Maroc va présenter le prix Maison de l’année.
Pourquoi 16 catégories ?
Pour explorer les différentes typologies : logements, bureaux, hôtellerie, artisanat… Nous avons une catégorie spéciale « Designer de l’année » pour les créateurs d’objets de moins de 40 ans.

Trophée des YMAA 2024.
Le trophée MIDA 2025 : un objet d’art
Pouvez-vous nous parler du trophée ? Le trophée MIDA est un trophée millésimé signé par Selma Khamlichi, une architecte-designer qui a participé plusieurs fois aux YMAA dans la catégorie « Designer de l’année« . Ce trophée sera fabriqué au Maroc par AKLIM, une société spécialisée dans l’aménagement urbain. C’était important d’avoir un objet 100% marocain. Les MIDA se dérouleront de manière biennale et récompenseront les projets des deux dernières années.Démocratiser l’architecture d’intérieur
Quel impact espérez-vous sur la perception publique de ces métiers ? Il y a une volonté de démocratiser ces métiers. Que tout le monde puisse comprendre le rôle important d’un architecte d’intérieur dans un projet, d’un designer dans la conception d’un banc d’espace public. Quand nous réaménageons une corniche, nous impactons des milliers de personnes. Un hôpital bien conçu affecte patients, visiteurs et personnel soignant. L’architecture joue un rôle déterminant dans tous ces cas.Quand l’architecture devient d’intérêt public, la civilisation évolue. Un citoyen qui s’interroge sur l’espace public, c’est un citoyen intellectuellement évolué. C’est aussi le rôle de l’architecture : permettre aux populations d’évoluer.
Structurer une profession en quête d’organisation
Comment les MIDA peuvent-ils contribuer à structurer une profession encore peu réglementée ? Notre objectif est de promouvoir l’architecture d’intérieur, pas de réguler la profession. J’espère que ce type d’événement encouragera les architectes d’intérieur à mieux s’organiser, à créer des associations…etc. Le concours est soumis à des conditions : les architectes d’intérieur participants sont des professionnels diplômés d’école supérieure de design. J’espère que ce genre d’initiative permettra la formation d’une association pour les architectes d’intérieur et les designers, au même titre que l’Ordre National pour la profession d’architecte.Poursuivre un héritage tout en innovant
Comment poursuivez-vous l’héritage de votre père dans cette initiative ? Les MIDA étaient un projet que nous avions développé ensemble. Nous avions fait un concours en interne avec le studio pour le logo, écrit le règlement ensemble, choisi les membres du jury. Je poursuis un projet commun. Cette continuité s’ancre dans la mission du Groupe Archimedia : promouvoir l’architecture contemporaine marocaine, la placer sur l’échiquier mondial, montrer que le Maroc regorge de créativité. Nous avons cette volonté de consigner ce qui se fait, ce qui se construit. C’est un grand livre qui s’écrit pour le Maroc et qui peut être lu par le monde entier.Un appel aux jeunes talents
Quel message adressez-vous aux jeunes talents qui hésitent à participer aux MIDA ? Il faut participer et soutenir ce type d’initiatives parce qu’il n’y en a pas beaucoup. Faire sa place dans ce domaine au Maroc est très concurrentiel. Il faut être à l’affût, curieux, aventureux. Participer ne coûte rien, quelques clics pour soumettre des projets déjà réalisés.C’est un seul écosystème – architecture, architecture d’intérieur, design – qui nécessite une logique confraternelle forte, malheureusement inexistante au Maroc. Il n’y a pas de confraternité entre architectes et architectes d’intérieur alors qu’elle existe partout dans le monde. J’espère que les MIDA contribueront à rapprocher ces professions.